Le jazz et la photographie sont de vieux compagnons de route. Mémoire visuelle du jazz, la photo a depuis les origines laissé des traces documentaires qui participent activement à l’imagerie populaire et à la reconnaissance artistique de cette musique. Souvenons-nous du mythique trompettiste Buddy Bolden. Nous n'avons de lui aucun enregistrement, seulement une photo jaunie et floue qui contribue à sa légende.
Le jazz est un art de l’instant qui s’écoule dans la durée d’un chorus ou d’un concert. La photographie est aussi art de l’instant, mais qui s’inscrit dans l’espace et joue avec la dimension de la surprise où nulle reprise n’est possible. « L’acte photographique instantané » ne vise pas à figer le réel, mais à restituer en une image immobile le mouvement de la vie, c’est-à-dire surprendre l’émotion, anticiper le geste, fixer l’éphémère, apprivoiser le silence, susciter l’imprévisible. Pour ce faire, le photographe doit se muer en subjectif de l’objectif, soliste du hasard, l’œil toujours en alerte, à l’affût de « l’instant décisif » (dont parlait, Cartier-Bresson), de « l’instant vif » (Guy Le Querrec), de « l’instant voulu » comme l’a écrit Francis Marmande.
« Il n’y a pas d’amour, il n’y a que des preuves d’amour » écrivait le poète Pierre Reverdy. On peut paraphraser cet adage en disant : « Il n’y a pas de jazz, il n’y a que des preuves de jazz », celles que donne chaque musicien à chaque concert dans le risque de l’instant. On peut s’amuser à prolonger l’aphorisme : « Il n’y a pas de photo de jazz, il n’y a que des épreuves de jazz », des tirages sur papier en noir et blanc qui agissent comme des « révélateurs » d’un monde musical vraiment photogénique. Le jazz est une musique qui se voit et qui se lit dans le corps des musiciens, leur gestuelle, leurs mains, leurs postures, leur démarche, leur regard, leur rapport intime avec l’instrument, etc.
Pour preuve tous les clichés de cette exposition : le profil de Monk en contrejour face au ténor de Charlie Rouse (chef d’œuvre signé Guiseppe Pino) ; Keith Jarrett la tête plongée dans les entrailles de son piano ; la solitude de Ben Webster dans sa loge avant un concert ; Stan Getz se reposant sur un lit de chambre d’hôtel avec, posé sur son ventre, son saxophone ; Dizzy Gillespie s’époumonant, comme un souffleur de verre, dans sa trompette coudée, ses joues de crapaud-buffle gonflées comme des ballons, etc.
En regardant toute cette galerie de portraits, n’oublions pas le conseil éclairé de William Claxton : « Écoutez mes photos avec le regard, avec vos yeux. »
Pascal Anquetil
Cette exposition sera par la suite disponible à la location sur le site zen-images.fr