De 1991 à 1999, une série de guerres dévasta la Yougoslavie. Alexandra a couvert ce conflit, elle écrivit « J’ai couvert ce conflit jusqu’à l’écœurement. J’ai vu à l’œuvre, toujours et encore la même hystérie lorsque les Serbes s’efforçaient de mettre leur emprise sur les Républiques désireuses de se séparer de la Yougoslavie. Pendant presque dix ans, j’ai accompagné au cimetière des milliers de personnes. (…) Tout au long du chemin, ma vision de l’humanité s’est assombrie et tant d’atrocités m’ont fait prendre conscience de la présence du démon sur la Terre. »
Le 24 février 2022, la guerre éclata en Ukraine. Lorsque je vis ces images de civils en fuite, entassés dans les bus et sur les routes, ces immeubles en feu, des vies soufflées et réduites en cendres, j’ai été troublée de la ressemblance entre les images de Sandra et celles-ci. Si proches dans leur horreur.
Pourquoi se faire la guerre ? C’est une question que je me suis toujours posé. Je ne crois pas avoir connu le monde en paix, bien que les guerres nous paraissent souvent passées ou lointaines. Je pensais, sûrement utopiquement, que l’Histoire nous avait déjà montré l’atrocité des conflits, et que nous en aurions tiré les leçons. C’est triste de voir l’Histoire se répéter, ça dépasse et ça sert nos gorges à tous.
Dans La Peste, Camus écrit : « Quand une guerre éclate, les gens disent : " Ça ne durera pas, c'est trop bête. " Et sans doute une guerre est certainement trop bête, mais cela ne l'empêche pas de durer. La bêtise insiste toujours, on s'en apercevrait si l’on ne pensait pas toujours à soi. »
Ce qu’il se passe en Ukraine est une tragédie. Nous sommes tous concernés par le retour de la paix, je ne crois pas au discours selon lequel nous ne pouvons rien faire à notre échelle. Lisons, écoutons, observons l’Histoire, prenons conscience de notre universalité et n’oublions pas que la liberté n’est jamais admise. Elle se défend.
« Tout a commencé alors que j’avais 27 ans, et mon regard sur le monde était encore celui d’une adolescente. La vocation de photographe, que j’héritais de mon père, ne m’avait jamais confronté ni à la mort, ni à la violence, et la guerre n’avait pour moi qu’une valeur abstraite. » disait Sandra. Ses photographies en Yougoslavie résument, à mes yeux, toute l’injustice d’une guerre. Les conséquences d’une guerre sont concrètes et ses premières victimes sont les Hommes. Sandra est toujours parvenue à rendre compte de cela, de l’humanité d’une guerre, de sa valeur concrète justement. Cette exposition rend hommage aux civils, à ces hommes et femmes soudainement pris de court par la violence. Elle rend aussi hommage aux journalistes, je crois dans l’importance de l’information. Sans eux, sans leur courage et leur désir de montrer la vérité du monde, nous ne pourrions pas nous confronter tant aux joies qu’aux violences de ce qui nous entoure.
Lucie Saada